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MARIA CALLAS: PUCCINI TOSCA A L’OPERA NATIONAL DE GRECE EN 1942 ET 1943

27, 28, 30 Août & 2, 4, 6, 8, 10, 12, 13, 16, 18, 20, 22, 24, 26, 27, 30 Septembre 1942

17, 21, 23, 25, 31 Juillet 1943

Un hommage à l’occasion du centenaire de sa naissance

English Version: click HERE

Maria Callas a chanté le rôle de Floria Tosca pendant toute sa carrière scénique de 1942 à 1965. A l’Opéra National de Grèce, fondé en 1939, elle a pu bénéficier de conditions de travail assez exceptionnelles pour présenter cette œuvre dans une nouvelle production alors qu’elle n’avait que 18 ans, à une époque où la Grèce subissait des conditions d’occupation extrêmement dures. Le livre indispensable de Nicholas Petsalis-Diomidis ‘The Unknown Callas – The Greek Years’ décrit en détail comment cette nouvelle présentation de Tosca a été montée, comment le jeu scénique et le chant de Callas ont fasciné dès le début, mais aussi par quel mécanisme de travail en profondeur cette production est devenue une sorte de référence pour elle-même et pour certains metteurs en scène et non des moindres, à tel point que vingt ans plus tard, voire plus, elle a continué à influencer de nouvelles mises en scène.

Dans une interview de 1978, la comédienne Edwige Feuillère a déclaré: ‘J’ai admiré Maria Callas à l’Opéra de Paris dans Tosca. Elle y était extraordinaire de beauté, de musicalité, mais surtout, pour moi comédienne, elle faisait une chose extraordinaire. J’étais à la corbeille de l’Opéra et au Deuxième Acte elle est avec Scarpia, j’ai vu le moment précis où dans son esprit germait l’idée du meurtre, c’est-à-dire qu’on voyait son œil s’arrêter sur le couteau qui était sur la table, le verre qu’elle portait à ses lèvres s’arrêtait à mi-course et de très loin, on savait que cette femme allait tuer Scarpia. C’est un merveilleux travail d’interprète et ça m’avait beaucoup touché. Pour moi, il y avait de la magie dans son cas. Ses vibrations étaient des vibrations magiques, il y avait une sorte d’exotisme du timbre. Tout ce qu’il y a eu de beauté dans sa personne, c’étaient la beauté et l’élégance acquises et là-dessus, il y avait tout le travail incessant sur des dons incomparables et l’addition de tout ça, c’est le génie. C’est une femme qui, pendant sa courte trajectoire, n’a pensé qu’à se recréer chaque jour à chaque instant.’

Comme l’a souligné Edwige Feuillère, valoriser le génie nécessite un travail incessant et ce qui est de prime abord fascinant avec Callas, c’est qu’en 1942, elle avait déjà défini les méthodes de travail exigeantes qui lui ont permis de le faire, et qu’elle appliquera tout le long de sa carrière. Ce qui est encore plus fascinant est, qu’aussi jeune, elle ait été en mesure d’incarner de façon mémorable le personnage.

Elle avait commencé à étudier Tosca en 1938 avec son enseignante de l’époque, Maria Trivella , professeur associée au Conservatoire d’Athènes. Sous l’impulsion du ténor Ulysses Lappas, et après un avis favorable d’Elvira de Hidalgo, Maria Kalogeropoulou a été officiellement choisie par le secrétaire général du Théâtre National Angelos Terzakis le 10 juillet 1942 pour chanter le rôle de Floria Tosca dans une série de dix-huit représentations de Tosca sous la direction du chef d’orchestre Sotos Vassiliadis avec comme metteur en scène Dino Yannopoulos. Elles eurent lieu à guichet fermé entre le 27 août et le 30 septembre 1942 au Théâtre d’été en plein air de la place Klafthmonos à Athènes, une petite salle avec une scène de dimensions modestes, avec une Première le 27 août pour la version chantée en grec dans la traduction d’Angelos Terzakis et le 8 septembre pour la version chantée en italien (3 représentations). Parmi les personnages principaux, elle était la seule à chanter dans les deux langues et devait donc apprendre l’œuvre et assurer l’ensemble des répétitions en grec et en italien. Mario était chanté en grec par Antonis Delendas et en italien par Loudovikos Kourousopoulos. Le baron Scarpia était chanté en grec par Titos Xirellis et par Spyros Kalogeras (à partir du 24 septembre) et en italien par Lakis Vassilakis. Une reprise avec la même distribution a eu lieu en 1943 pour cinq représentations en grec (17, 21, 23, 25 et 31 juillet).

Théâtre d’été de la place Klafthmonos (Athènes)

Les répétitions de Tosca ont commencé avec piano dans la salle du Théâtre National. Selon Loudovikos Kourousopoulos, dès les premières répétitions, Callas était exceptionnelle de musicalité et de virtuosité. Les deux distributions répétaient en alternance en grec et en italien et elle devait être toujours présente. Quand les répétitions avec orchestre commencèrent au théâtre de la place Klafthmonos, elle a toujours chanté à pleine voix, sans s’économiser, ce qu’elle continuera à faire pendant toute sa carrière. Comme en raison de sa myopie, elle ne pouvait voir le chef, elle a également assisté aux répétitions réservées à l’orchestre seul pour ne pas avoir à dépendre de la gestique du chef. En plus, Callas a également étudié le rôle dans des répétitions privées avec le chef d’orchestre Sotos Vassiliadis et le baryton Titos Xirellis qui était un chanteur reconnu et également un compositeur. Ce dernier lui a en particulier enseigné comment jouer la difficile scène de l’Acte II entre Scarpia et Tosca, ce dont elle tirera profit pour toutes les représentations postérieures tout au long de sa carrière.

Lors de la première, le jeudi 27 août 1942, le public a vite compris que Maria Kalogeropoulou était quelqu’un de remarquable. Selon Dino Yannopoulos: quand elle est entrée en scène, c’est comme si elle avait pris le public par la peau du cou et lui avait dit : maintenant, écoutez-moi, j’ai quelque chose à vous dire ». Antonis Kalaidzakis, membre du chœur ce soir-là, raconte : « Je me souviens de ce « Mario, Mario, Mario ! », qui vous donnait des frissons ! C’était un cri qui venait directement du cœur. Sa voix était étrange, elle avait un sanglot naturel qui vous projetait directement dans une atmosphère de drame. Le son était un peu guttural, mais joliment guttural, comme le son d’un instrument à cordes lorsqu’il n’est pas joué tout à fait correctement’.

Après l’aria « Vissi d’arte » qu’elle a du bisser à chaque représentation, la scène où elle poignarde Scarpia a impressionné grâce à l’ « opération » imaginée par Yannopoulos et brillamment exécutée par Maria: alors que Scarpia, assis à son bureau, rédigeait le sauf-conduit que Tosca lui avait demandé, elle a reculé en diagonale vers la table, depuis la scène. Stefanos Ciotakis, un autre membre du chœur, se souvient : « Sur la table se trouvait le poignard, la poignée tournée vers elle. Elle s’est rapprochée de plus en plus de la table, en marchant de manière plutôt instable, et nous, sachant qu’elle ne pouvait pas voir, étions sur les dents. Allait-elle mettre la main dessus ou… ? Mais, ayant mesuré ses pas à la perfection, elle est arrivée à la table et a pris la dague avec une précision absolue, sans même tourner la tête. Voilà qui nous a glacé le sang ! »

Andonis Kalaidzakis se souvient avec émotion de la façon dont, après la mort de Scarpia, Maria a laissé tomber le poignard de sa main et a placé une bougie de chaque côté du tyran mort. Le public a ressenti un frisson d’excitation lorsque Maria a extrait le billet serré dans la main du défunt Scarpia. Puis, elle a fait sa sortie grâce à une autre astuce de mise en scène de Dino Yannopoulos: en sortant par la droite de la scène, sa cape d’hermine jetée sur son épaule et traînant sur le sol derrière elle, elle s’est retournée pour regarder Scarpia mort tandis que le rideau était refermé depuis la gauche de la scène pour terminer l’acte. Le metteur en scène Luschino Visconti a reconnu qu’il avait admiré cette idée ingénieuse. Franco Zeffirelli s’en est inspiré de même que bien plus tard, en 2001, Benoit Jacquot dans son film.

La voix de Maria Callas avait déjà ses propriétés essentielles. Pour le ténor Loudovikos Kourousoupoulos qui a interprété Mario dans les trois représentations chantées en italien, « si vous l’entendiez chanter sans la voir, vous penseriez que ce sont trois personnes différentes qui chantent. Elle avait des difficultés à passer d’un registre à l’autre. Lorsqu’elle atteignait une note aiguë de manière nette, sa voix ne bougeait pas, mais lors d’un portamento vers le haut, elle était affectée d’un trémolo. Cependant, elle avait une telle étendue vocale et une telle chaleur de son, et surtout son jeu d’acteur était si bon, qu’on oubliait ces problèmes. L’effet global était si vivant qu’il vous faisait bondir de votre siège ». Nikos Papachristos, qui faisait partie du chœur, le confirme : « Nous avons été déconcertés et abasourdis par sa voix. Elle avait tellement de couleurs différentes qu’elle manquait d’homogénéité : une voix haute, une voix moyenne et une voix basse, toutes bien distinctes. Mais il y avait une grande fluidité et elle se comportait de manière si naturelle sur scène que l’on oubliait ses défauts vocaux. »

avec Loudovikos Kourousopoulos

Sur la recommandation d’Herbert Graf, Dino Yannopoulos a été nommé metteur en scène principal au MET et il y est resté entre entre 1946 et 1967. Callas l’y a retrouvé pour ses mises en scène de Tosca (en 1956, 1958 et 1965) et de Norma en 1956. Les extraits de la fin de l’Acte II filmés lors du Ed Sullivan Show du 25 novembre 1956 (dir: Dimitri Mitropoulos avec George London, Scarpia) nous donnent une idée de sa mise en scène, avec en particulier, à l’extrême fin, la fameuse sortie de Callas avec sa cape qui traîne sur le sol.

Les photographies comparatives ci-dessous, prises sur scène au cours des répétitions de l’Acte II en 1942 à Athènes avec comme directeur de scène Dino Yannopoulos, et en 1964 à Londres (Covent Garden) dans la mise en scène de Franco Zeffirelli, montrent d’étonnantes similitudes visuelles entre les deux productions prises au tout début (en 1942, elle n’avait pas encore 19 ans) et vers la fin de la carrière scénique de Maria Callas. Sa toute dernière représentation publique d’un opéra a été Tosca à Covent Garden le 5 juillet 1965.

Sur les photos ci-dessous: A gauche: Opéra d’Athènes 1942; A droite: Londres Covent Garden 1964

Acte II Tosca/Scarpia – A gauche: avec Titos Xirellis ; A droite: avec Tito Gobbi

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Acte II Tosca/Mario – A gauche: avec Antonis Delendas ; A droite: avec Renato Cioni

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Acte II – ‘Vissi d’arte’

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Acte II Tosca/Scarpia – A gauche: avec Titos Xirellis ; A droite: avec Tito Gobbi

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N.B. Certaines sources indiquent que Maria Callas aurait chanté Tosca à Athènes en juillet 1941 pour remplacer une cantatrice malade. Cette information est erronée. Il n’y a pas eu de représentations de Tosca au Théâtre National en 1941. Ce n’est qu’en 1942 avec la nouvelle production que Tosca a commencé à y être représenté.

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